Société des Amis de la Bibliothèque Forney



L'HISTOIRE DE FRANCE RACONTÉE PAR LA PUBLICITÉ


L'Histoire de France racontée par la publicité


Du 30 janvier au 27 avril 2013
Communiqué de Presse
Dossier de Presse
En Vue



Article de Claudine Chevrel, (Conservateur en Chef à la Bibliothèque Forney), paru dans la revue SABF (Sté des Amis de la Bibibliothèque Forney) 2013 - Bulletin n° 195






Vercingétorix fume des "Gauloises", Henri IV boit de la bière (surmontée d'un panache blanc !), Louis XIV abandonne ses courtisans pour boire une Suze, Napoléon dicte ses mémoires sur une machine à écrire "Empire", le président Fallières pédale de concert avec Edouard VII sur des cycles "Barré" et Marianne avale du Banania pour mieux prendre la Bastille... La publicité a parfois une étrange façon d'interpréter l'histoire de France !




Les Centres E. Leclerc et Mai 68



Au-delà de l'amusement provoqué par de tels détournements, toutes ces affiches, choisies dans la riche collection de la bibliothèque Forney (la troisième de France), témoignent de l'époque où elles ont été créées. La perception d'un personnage historique évolue avec les changements de la société et les régimes politiques, tout comme le style graphique des images elles-mêmes. Si les héros de l'histoire de France faisaient vendre à la Belle Époque, ils ont été supplantés depuis, comme prescripteurs d'achats, par les vedettes du sport ou du spectacle. Ce sujet, à la fois divertissant et très révélateur de l'idée qu'un pays se fait de lui-même, a déjà été partiellement traité en 1989 dans l'exposition organisée par la bibliothèque Forney "Célébrités à l'affiche" qui ne se limitait pas auxseuls personnages de l'histoire de France. Grâce à de nouvelles acquisitions, la collection s'est étoffée, permettant de nouveaux rapprochements savoureux.

De 1870 à 1913, l'affiche commerciale illustrée va connaître son âge d'or et investir les murs alors que les villes se développent et que les grands magasins apparaissent. Si Jules Chéret en tant qu'artiste, lui donne ses lettres de noblesse, le procédé de la chromolithographie permet d'imprimer des images de qualité en grand format chez des imprimeurs spécialisés. Grâce à Eugène Grasset et Georges de Feure, l'Art Nouveau apporte une nouvelle esthétique à ces affiches, conçues comme de véritables tableaux.
Dans les premières décennies de la Troisième République (née après le traumatisme de la défaite de 1870 et la perte de l'Alsace-Lorraine) la publicité contribue à populariser les symboles républicains dans l'imaginaire collectif et met largement à contribution les héros positifs de l'histoire de France. L'école gratuite, laïque et obligatoire propose aux élèves des modèles exemplaires, et prône l'unité du pays, le patriotisme et une certaine morale républicaine (en remplacement des préceptes religieux ?). Les illustrations des manuels puis les tableaux pédagogiques accrochés dans les classes perpétuent quelques scènes stéréotypées : Vercingétorix, héros fondateur, défiant César, Charlemagne et sa barbe blanche au milieu des écoliers, Henri IV à quatre pattes jouant avec ses enfants, Louis XIV et sa cour dans les jardins de Versailles, les armées de la République près du moulin de Valmy, Napoléon en Égypte ou dans les plaines gelées de Russie... Et les mots historiques répétés comme des mantra complètent ces portraits stéréotypés : "Souvent, femme varie", "la poule au pot" "l'État, c'est moi" "Soldat, du haut de ces pyramides... "




Vercingétorix et les cigarettes Celtique



On en trouve les échos dans les affiches publicitaires, personnages et produits vantés n'y sont pas choisis au hasard : aux Gaulois virils les cigarettes et le camembert, à Jeanne d'Arc le détachant "sans auréole", à François Ier le quinquina "Chambord", à Henri IV le bouillon cube et l'armagnac, à Louis XIV les bijoux et le cognac, à Napoléon le papier à cigarette "Nil", les réfrigérateurs et les appareils de chauffage qui évoquent la campagne de Russie. Quant à la bicyclette, dont l'essor correspond à celui de la publicité, elle est vantée par des personnages aussi divers que le preux Roland, le chevalier Bayard, Henri IV, un sans-culotte, Napoléon, le roi du Dahomey Behanzin, les présidents Félix Faure ou Émile Fallières... Le passant retrouve des souvenirs familiers d'écolier (ce qui le rassure), mais détournés de façon humoristique (ce qui le fait rire, attire son attention et facilite la mémorisation du produit).

Beaucoup d'affichistes ayant une formation de peintre, il se mêle aux réminiscences des images des livres d'histoire, celles de la grande peinture : Jeanne d'Arc et Henri IV par Ingres, François Ier par Clouet, Louis XIV par Rigaud, Napoléon par Gros ou "la Liberté guidant le peuple" par Delacroix quand il s'agit de représenter Marianne. Pour mieux assurer le transfert de notoriété du personnage au produit, ils se contentent donc d'illustrer des profils historiques pré-existants, également célébrés par les images d'Épinal, les chromos publicitaires des grands magasins, les étiquettes pour boîtes de fil ou de fromage, les buvards et les protège-cahiers des écoliers. La statuaire (si florissante sous la Troisième République) n'est pas oubliée : la statue d'Henri IV sur le Pont Neuf est évoquée dans de nombreuses publicités, tout comme celle de Louis XIV, place Bellecour, à Lyon, ou celle de Vercingétorix sur le site d'Alésia.




La Liberté guidant... Suavitos



Grâce à la loi sur la liberté de la presse de 1881, les journaux de caricatures se multiplient jusqu'à la Première guerre mondiale, et, sous leur influence, les affiches publicitaires vont connaître une nouvelle orientation, en exploitant l'actualité politique, et non plus les gloires passées. Certains dessinateurs, comme Albert Guillaume, Marcellin Auzolle ou Gus-Bofa travaillent aussi bien pour les périodiques satiriques que pour la publicité. Les références à la vie politique et parlementaire se multiplient, les présidents de la République, à la fonction purement honorifique et représentative, deviennent, bien malgré eux, les vedettes d'un jeu de massacre bon enfant, qui désarme tout risque de représailles. La République est devenue un régime familier pour la majorité des Français qui s'amusent des travers de leurs représentants (l'un est trop mondain, un autre trop rigide, ou trop familier, ou encore trop amateur de femme ou de bon vin I). Cette veine chansonnière s'applique aussi aux relations internationales, alors très actives : les voyages officiels abondent et grâce aux dessins du "Petit Journal" ou du "Petit Parisien", aux photographies reproduites dans "l'Illustration", les physionomies des grands de ce monde deviennent familières à l'homme de la rue qui les reconnaît sans peine, même caricaturées, sur les affiches publicitaires. Les querelles entre les nations ou les différents partis ne sont pas niées, mais passées au filtre de l'humour, elles permettent de vanter des produits (vins et autres apéritifs) qui permettent de sceller une réconciliation même éphémère, en une sorte d'exorcisme devant la montée des périls.

Après la Première guerre mondiale, la Garçonne, éprise de music-hall et de cinéma, se soucie peu des grandes gloires historiques et l'actualité politique, entre crise économique et affrontements violents des partis, se prête difficilement au commentaire bon-enfant. La société se transforme et la vie artistique est en pleine effervescence. L'esthétique des affiches 1900, conçues comme des estampes décoratives agrémentées d'un texte plus ou moins bien intégré, est désormais dépassée dans une époque de rapidité et de couleurs saturées. Leonetto Cappiello invente une formule plus adaptée aux Années Folles : "la recherche de la tache" c'est-à-dire une affiche plus dépouillée, donc plus lisible, où prime la "ligne", avec un seul personnage clair sur un fond sombre (ou l'inverse !) et des couleurs franches et claquantes.
Grâce à lui, François Ier et Henri IV ont encore droit de cité ! Mais la nouvelle génération des années 30, les fameux "trois mousquetaires" (Carlu, Cassandre, Colin et Loupot), influencés par le constructivisme, le cubisme et le futurisme, vont chercher ailleurs leur inspiration. La démocratisation de l'automobile entraîne une accélération de la vie : l'affiche doit frapper I'œil plus vite, dans des formats parfois démesurés.




Napoléon et l'empire... du froid FAR



Dans cette mouvance, après la Deuxième guerre mondiale, Raymond Savignac invente l'affiche-gag, en rupture du géométrisme de ses aînés. Il faut divertir le public qui s'ennuie dans son train-train quotidien et trouver une image forte et drôle qui synthétise l'essence du produit vanté. Ainsi Jacques Auriac n'hésite-t-il pas à transformer Napoléon en réfrigérateur pour "l'Empire du froid Far", transcendant par l'humour les tristes souvenirs que nous pourrions garder de la Campagne de Russie. La France adopte une publicité à l'américaine, avec la prééminence des agences et des directeurs artistiques, qui introduisent le marketing. Le lien direct entre le client et le concepteur de l'image se perd et l'affiche photographique triomphe. Elle n'est d'ailleurs plus qu'un rouage dans des campagnes multi-media qui regroupent annonces publicitaires illustrées dans la presse et films publicitaires. Certains personnages historiques y survivent, Jeanne d'Arc, François Ier, Louis XIV et l'indestructible Napoléon, des valeurs sûres qui ont traversé les bouleversements économiques et sociaux malgré des éclipses passagères, quand leur valeur symbolique n'épousait plus les préoccupations du moment. Les publicitaires misent sur l'humour décalé, utilisant Jeanne d'Arc pour la promotion de l'Eurostar ou faisant porter un sac "Darty" à François Ier.




Une belle brochette trinque au Ricqlès



Certains surfent même sur l'actualité politique, retrouvant une veine oubliée depuis la Troisième République : dans un film, Darty évoque le président Mitterrand, avec labrador noir et décor élyséen comme points de repère, puisque le visage n'est jamais montré. La loi, en effet, protège le droit à l'image des citoyens, hommes politiques compris. Il est fini le temps heureux de la Troisième République où les affiches pouvaient ridiculiser les présidents pour leur faire vendre des bretelles ou des talons tournants. Aujourd'hui, le risque de procès est certain. Seules embellies, les périodes électorales au cours desquelles les candidats se doivent de prouver leur sens de l'humour pour séduire les électeurs : des publicitaires en profitent, davantage pour vanter des médias (radios, émissions de télévision) que des produits de consommation. Dans une société où l'attention portée aux victimes est en pleine expansion, alors que le culte du héros recule, leur image est aussi utilisée dans le cadre de campagne pour des grandes causes nationales, pour leur rappeler leurs responsabilités, et aussi frapper l'imagination du grand public, amusé ou déstabilisé, selon le parti pris adopté.




Napoléon et Au bon marché










Quand la publicité refait l'Histoire de France à la Bibliothèque Forney