Société des Amis de la Bibliothèque Forney



MICHEL QUAREZ


du 22 septembre 2009 au 30 janvier 2010
Communiqué de Presse






Expo Michel Quarez





Thierry Devynck

Article de Thierry Devynck (Conservateur à la Bibliothèque Forney), paru dans la revue SABF (Sté des Amis de la Bibibliothèque Forney) 2009 - Bulletin n° 181
La Bibliothèque Forney présentera au public à partir du 22 septembre 2009 une exposition rétrospective de l'œuvre de l'affichiste contemporain Michel Quarez. Cet artiste, né en 1938 est l'un des rares représentants actuels d'un genre presque disparu : l'affiche peinture.
Après de classiques études aux Beaux-Arts de Bordeaux, puis à Paris à l'École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, de 1958 à 1961, il se rend à Varsovie pour y travailler à l'École des Beaux arts, au côté de Henryk Tomaszewski.
Après son service militaire, il se lance dans la carrière commerciale. Il travaillera à la Snip, l'agence de publicité du groupe Prouvost, de 1964 à 1966.
Il fait ensuite un séjour à New York, où il rencontrera beaucoup des figures de légendes de cette époque, se livrant à divers travaux comme des bandes dessinées de style psychédélique.

En 1967, il revient à Paris, appelé par l'éditeur et publicitaire Robert Delpire. Il participe activement au mouvement de mai, l'année suivante. ll poursuit une carrière commerciale jusqu'à 1976, environ, mais son caractère exigeant s'accommode mal des pratiques imposées aux artistes par les agences de publicité.
Progressivement, il se consacrera surtout à des recherches personnelles tournant autour de ses observations sur la physique de la couleur. En 1976, il s'agrège pendant huit mois au groupe Grapus, puis revient à une pratique plus solitaire de l'art de l'affiche. Il collabore alors souvent avec le PCF, ses publications, la CGT, les municipalités communistes.

En 1983 - c'est l'époque des premières palettes graphiques - il s'intéresse aux ordinateurs et à leur imagerie, mais en s'attachant à trouver une voie qui ne soit pas celle que proposent les applications du commerce, alors dans leurs commencements. Cela donnera plusieurs saisons d'affiches où l'artiste invente des images marquées par un grossissement extrême des pixels. Il reviendra par la suite à une pratique plus directe de l'affiche peinte.











Qu'est-ce qu'une affiche Quarez ?
Il n'y a pas chez lui de distinction nette entre l'objet de la publicité et son traitement par l'artiste, de sujet et de traitement du sujet. Dès le début du travail, le sujet s'incorpore dans l'œuvre, en une sorte de tout organique. L'artiste trouve le moyen de s'exprimer sur les sujets qui l'intéressent, les plus divers. Michel Quarez fait le pari qu'en disant ses préoccupations sentimentales, morales, érotiques par exemple, il saura parler au plus grand nombre.
Le style Quarez n'apparaît pas comme la conséquence d'une décision intellectuelle, mais plutôt comme une végétation spontanée et native. De là vient probablement sa force.

L'appétit de peinture est intact chez cet homme qui se décrit sans sourire comme l'observateur de la peinture venant sous sa brosse. Une tache jaune se forme, qui devient un poisson. Le peintre y ajoute une touche de bleu pour faire l'œil et ratifier le poisson.
La désinvolture qui nous enchante de ses meilleures affiches risquerait de faire passer Quarez pour un artiste frivole, jouet de ses caprices, sorte de bouchon filant sur l'onde ; elle fait de lui l'opposé des peintres à doctrines et à manifestes en ismes. L'idée d'affiliation et de fidélité, même à ses propres idées, lui est odieuse. ll saisit dans sa primeur tout ce qui peut venir stimuler sa verve, du Musée et de l'art moderne, dont il a une connaissance profonde et méditée, à l'imagerie populaire ou exotique, en passant par les arts graphiques, la photographie, la publicité ancienne, la bande dessinées, la signalisation routière, etc. Tout cela sans oublier la nature, au sens le plus entendu (arbres en fleurs, nuages, petits oiseaux, etc.)











Au-delà des stimulations visuelles, l'artiste est sensible à toute sollicitation extérieure, de ses lectures, de la conversation et de la langue. La diversité même des sources d'inspiration semble garantir l'indépendance de sa propre nature.
Sa démarche est globale. L'affiche n'est pas un sous-produit de la peinture, elle est l'œuvre elle-même, exposée dans la rue. C'est pourquoi l'artiste veille scrupuleusement à la qualité de sa fabrication et jusqu'à celle de l'affichage. La technique d'impression ayant sa préférence est la sérigraphie, qui permet des encrages généreux et donne aux affiches une vigueur sans pareille.
Ici, un peu d'art comparé sur un point de doctrine.
Raymond Savignac, qu'admire beaucoup Quarez, fut un classique en ce qu'il passa toute sa vie d'affichiste à rechercher l'évidence de ses images, c'est-à-dire à pourchasser toute signification parasite.
Au contraire, Quarez ne reprend pas à son compte l'injonction classique du message simple et clair, par esprit de désobéissance d'abord, mais surtout par goût de l'expérience et de la découverte. Sa première maquette pour la rétrospective de la bibliothèque Forney figurait un Mickey pendu. La multiplicité des interprétations possibles de cette image est telle que le sens s'y est étrangement dissout. Ce que dit cette image, car elle dit quelque chose, est indécidable. À la fois pénible et comique, elle appelle et retient si fort notre regard qu'on se persuade qu'elle ne saurait être entièrement gratuite. Les significations possibles s'empilent, sans s'exclure.
Dans ce pauvre Mickey en belle mauvaise peinture, on peut voir l'artiste mis à mal par le monde moderne c'est-à-dire l'establishment, les collectionneurs et les institutions qui ne reconnaissent pas la valeur des artistes, ne leur passent pas de commande et les affament, les agences de pub qui les étranglent, les médias qui les malmènent, etc.
La qualité d'une affiche, c'est aussi de savoir éviter le bon goût. Elle a le droit d'être scabreuse et elle y gagne souvent. Michel Quarez sait qu'il est dangereux de faire des affiches sans message clair : on tombe à plat dans ce cas bien souvent, et l'on perd sa mise. Ici, cela fonctionne parce que l'image capte immédiatement l'attention, c'est son grand mérite. Elle amène le passant indifférent à lire un petit pavé de texte, écrit baveux au pinceau. Trois choses : un nom, un lieu, une date. C'est tout.
Dans sa production contemporaine, l'artiste a trouvé une représentation cursive et minimale à l'homme, proche de l'idéogramme chinois. Pas de bras, pas de sexe le plus souvent, juste une silhouette à la course, en deux traits de pinceau. Ce motif de base se décline en figures de circonstance, avec la tête du rappeur, celle d'Astérix, etc. Cette figure minimale introduit dans l'affiche un contenu moral indéfini, qui se dessine au gré du sujet dont on vous entretient : une fête populaire, une campagne de prévention du sida ou de mise en valeur du mouvement syndical, ce qu'on voudra.