LA SOCIETE DES AMIS DE FORNEY A 65 ANS
Article de Jacqueline VIAUX
Article de Jacqueline Viaux (Conservateur en chef de la Bibliothèque Forney) - 1979
C'est en effet la plus ancienne de toutes les sociétés des Amis des Bibliothèques. Fondée en 1914, sur l'initiative d'un de ses premiers conservateurs, Henri Clouzot, elle a eu à sa tête des présidents remarquables qui ont poursuivi sans relâche les buts assignés par les fondateurs. Le premier président est connu de tous : c'est Henry Martin administrateur de la Bibliothèque de l'Arsenal. Parmi les membres de son conseil, on trouve des noms illustres tels David Weill, Georges Wildenstein et des inspecteurs des bibliothèques de la Ville tel Ernest Coyecque. Après la Seconde Guerre mondiale, les présidents Georges Aumont, André Jourdain, Gabriel Faguet Georges Henri Guerrand, ont continué l'œuvre de leurs prédécesseurs.
Il est toutefois remarquable de constater qu'au bout de 65 ans d'existence, la Société continue avec ténacité à poursuivre les mêmes buts :
— Faire connaître les richesses de la bibliothèque,
— Susciter des dons,
— Publier des bibliographies spécialisées et les catalogues des différents fonds de la bibliothèque.
A l'aide de compte rendus des assemblées générales qui ont été conservés depuis celle du vendredi 19 juin 1914 et qui ont été publiés à partir de 1963 dans le premier numéro de chaque année du Bulletin de la Société des Amis de la Bibliothèque, on peut aisément suivre le développement de cette triple action.
Bien souvent, nos collègues sont venus nous demander nos "recettes" pour faire marcher une Société d'Amis. C'est un peu pour répondre à ces incessantes questions que nous voulons tenter de relater la vie de cette vieille dame de 65 ans plus solide et plus dynamique que jamais. Nous nous limiterons ici à analyser les activités de la Société depuis le transfert de la Bibliothèque Forney à l'Hôtel de Sens en 1961.
Faire connaître les ressources de la bibliothèque à ceux qui la fréquentent et attirer de nouveaux lecteurs
Les expositions sont un des moyens les plus utilisés. Encore faut-il que les sujets de ces expositions soient soigneusement sélectionnés. La ibliothèque ne reçoit pas de crédit particulier de la Ville de Paris pour l'animation. C'est donc la Société qui doit en grande partie trouver les moyens financiers. Il y a eu 68 expositions présentées depuis 1961. La première en date est celle sur MUCHA et Forney s'est montré à cette occasion un des précurseurs du renouveau d'intérêt pour l'Art Nouveau.
Les expositions sont de deux types :
1. Celles qui montrent des documents entrés récemment à la Bibliothèque ou de fonds peu connus: Papiers Peints 1925 (1976); Documents Précieux sur la Chine et le Japon (1977); 150 ans de mode (1978).
2. La deuxième catégorie tout en incitant les visiteurs à utiliser les documents de la bibliothèque fait appel à des objets prêtés par des particuliers ou des organismes : Batik de Jérôme Wallace (1971); La Céramique impressionniste (1975); Tapisseries contemporaines (1977).
Ce deuxième type de manifestation fait venir pour la première fois dans les locaux de l'Hôtel de Sens un grand nombre de visiteurs qui deviendront éventuellement lecteurs si la Société a publié un bon catalogue et si le service d'accueil de l'exposition est bien fait.
La Société organise des conférences, le plus souvent en relation avec les expositions présentées.
Mais c'est aussi dans le cadre de la Société que se font les innombrables visites de groupes, que ce soit des classes accompagnées de leur maître, des groupes de personnes du troisième âge, des associations d'anciens, etc. Actuellement, il y a environ, en moyenne, une visite par jour (365 par an). La bibliothèque tire un très grand profit de ces visites si le Conservateur chargé des groupes sait s'adapter à des publics différents et sait habilement encourager les dons.
Susciter des dons
On a tout à fait intérêt à faire donner à la Société et non à l'administration de tutelle. En effet, dans les dons, il faut souvent pratiquer des éliminations très importantes et. dans le cadre de la Société, aucun règlement n'entrave ce tri.
La politique des dons a toujours été pratiquée sur une très vaste échelle. Tous les fonds anciens et précieux sont entrés ainsi à la bibliothèque. Citons pour mémoire les dessins de meubles de la Maison Alexandre et Henri Fourdinois, la remarquable collection de toiles de Jouy, les 3.000 papiers-peints, etc...
Dans les dernières années, un des dons les plus importants est celui de Charles Peignot qui a confié à la bibliothèque une partie des archives de la Maison Deberny et Peignot et les archives de l'A. TYP. I (Association Typographique Internationale créée en 1957). Des plaquettes très précieuses sur toutes les grandes créations de caractères du XXe siècle figurent maintenant dans le fonds de la bibliothèque depuis le Grasset et l'Auriol en passant par le Bifur et le Jacno jusqu'au Méridien. Une plaquette a été publiée à cette occasion.
Des dons plus modestes : d'une boîte de cartes postales anciennes, quelques années de périodiques, une enveloppe d'étiquettes de vin ou de fromage ne sont pas moins importants pour l'enrichissement de la bibliothèque et ces dons ont lieu toutes les semaines, je dirais presque tous les jours.
Pourquoi nos "amis" sont-ils si généreux ? Parce qu'ils sont remerciés dans les 24 heures, parce qu'ils reçoivent automatiquement le bulletin de la Société, parce qu'ils sont invités aux inaugurations des expositions et aux conférences, mais surtout parce que leur don est trié, catalogué, et utilisé immédiatement. La plupart du temps, le don est distribué dans les services le jour même. Là est le secret.
Publier
Les grands ancêtres, Henri Clouzot, Gabriel Henriot ont montré le chemin. Tout le monde connaît "L'Histoire du papier peint" et "L'Histoire de la Manufacture de Jouy et de la toile imprimée" de Clouzot, "Le meuble" et "Notre vieux faubourg" de Henriot. Ils ont été conscients qu'il fallait créer de la documentation pour le public très particulier des ouvriers d'art qui utilise la bibliothèque.
Après la Seconde Guerre mondiale, les techniques de fabrication du livre se sont modifiées. Depuis 1963, la Société peut utiliser une machine offset et devenir son propre éditeur. Impossible en effet, de faire publier à une administration des ouvrages financièrement si peu rentables que des bibliographies et des catalogues de bibliothèque. La Société des Amis se doit de prendre ce problème en mains.
Les débuts ont été modestes : les premiers imprimés n'étaient pas illustrés mais, d'année en année, le travail s'améliore. Voici quelques exemples de notre production :
— Le bulletin qui paraît régulièrement quatre fois par an depuis 1962.
— Des bibliographies : Hector Guimard (1975). L'Art 1925 (1976).
— Des catalogues de fonds spéciaux : Fonds slave en caractères cyrilliques ( 1972) ; Affiches anciennes ( 1973) ; Diapositives (1978); etc.
— Des guides pour certains fonds : Fonds iconographique. Département des périodiques (1971); etc.
— Des catalogues d'exposition dont un grand nombre sont épuisés et très recherchés tels MUCHA; la Céramique impressionniste...
L'atelier est trop exigu pour que la Bibliothèque puisse procéder à des publications trop importantes, mais c'est la Société qui a financé l'impression à l'extérieur de la "Bibliographie du meuble (1966) et surtout du Catalogue général matières (4 volumes 1970-1974) ainsi que de ses deux suppléments (1979-1980). Cette publication qui recense 95.000 ouvrages constitue la seule bibliographie des arts décoratifs qui ait jamais été publiée. Il est notable que les deux suppléments à eux seuls représentent un tiers du fonds général. Les acquisitions ne représentent que 12.500 volumes pour les dix dernières années, tout le reste est entré par dons.
Le produit de ces publications revient à la Société et constitue pour elle un véritable capital. Les revenus permettent de mettre en chantier de nouvelles publications. La Société est rentrée dans ses frais même pour les quatre volumes du catalogue matières et nous espérons bien équilibrer le
budget pour le deuxième tome du supplément qui va suivre en 1980.
Cette production imprimée aide la bibliothèque à procéder à des échanges. Nous pouvons toujours disposer d'un stock de catalogues d'exposition ou de bibliographies pour compenser les envois de nos correspondants (140 environ de tous les pays du monde). Si les publications appartenaient à la Ville de Paris, nous ne pourrions les distribuer gratuitement.
Cette diffusion dans les pays étrangers de nos bibliographies et de nos catalogues a fait apprécier la bibliothèque dans le monde entier. Nous serions ingrats si nous n'ajoutions pas que nos Amis nous aident individuellement. L'un nous fournit la couverture du bulletin, l'autre nous fait don de ramettes de papier, le troisième corrige des épreuves et écrit les préfaces que nous n'avons pas le temps de rédiger. Combien tout cela est réconfortant pour le chef de maison : avoir toujours la possibilité dans des situations critiques de faire appel aux conseils, à la générosité d'amis fidèles, dévoués et efficaces !
Après ce tableau idyllique, vous allez tous vous précipiter pour créer une Société d'Amis mais soyez prudents ! Dans les sociétés d'amis, la mortalité infantile est très fréquente et l'enfance très délicate !
Jacqueline Viaux
Conservateur en chef de la Bibliothèque Forney