LE GRAND PALAIS
par Claudine CHEVREL
Article de Claudine Chevrel, (Conservateur en Chef à la Bibliothèque Forney), paru dans la revue SABF (Sté des Amis de la Bibibliothèque Forney) 2007 - Bulletin n° 174
Construit à l'occasion de l'Exposition Universelle de 1900 et consacré à l'origine par la République à la gloire de l'art français, le Grand Palais a accueilli de nombreuses manifestations qui sont autant de reflets de l'histoire du 20e siècle. ll fut un témoin de l'art moderne à travers les salons d'artistes, et continue à l'être grâce aux expositions des Galeries nationales. ll fut aussi le révélateur privilégié de l'évolution de la civilisation du siècle dernier par ses présentations consacrées aux grandes innovations techniques : salon de l'automobile, de l'aviation, des sciences, des art ménagers, du sport...
L 'HISTOIRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES
Jusqu'à son inauguration officielle par Napoléon le 2 avril 1810, l'avenue n'est qu'un alignement forestier, inhabité, véritable coupe-gorge la nuit. Des maraichers cultivenl leurs salades allée des Veuves, notre actuelle avenue Montaigne. La consécration
des Champs-Élvsées déclenche leur urbanisation, qui ne débutera qu'à la fin de l'occupation des coalisés de 1815. En 1828, voulant éviter à l'État les frais de réhabilitation , Charles X promulgue une loi concédant à la Ville de Paris l'espace compris entre le jardin des Tuileries el le Rond-Point.
Depuis toujours, celle zone boueuse est réputée pour être torride ou glaciale, reflétanl ainsi le micro-climat du futur Grand Palais. Son origine remonte au ruisseau de Ménilmontant coulé dans l'ancien lit de la Seine et devenu un grand égout à ciel ouvert. ll se jette dans le fleuve entre le Grand Palais et la place de l'Alma. Si l'axe principal existe, il n'y a rien autour sauf l'allée des \/euves, l'avenue d'Antin (Franklin-Roosevelt) et la rue des Gourdes qui deviendra la rue Marbeuf.
Plus au sec, loin des rives, l'espace compris entre la place de la Concorde et le Rond-Point s'intitule le Grand-Carré des Champs-Élysées. ll est divisé en six carrés plus petits, symétriquement placés trois par trois, à gauche et à droite de l'avenue. Le troisième carré, celui des jeux, initié par madame de Pompadour, est dépourvu d'arbres : la marquise a déboisé l'espace afin de pouvoir admirer la Seine et les Invalides depuis les balcons de l'Élysée. C'est donc à elle qu'on doit l'idée de créer l'axe Champs-Élysées-Invalides, qui présidera plus d'un siecle plus tard à la construction du Grand et du Petit Palais et du pont
Alexandre lll. Le Grand-Carré demeurera végétal, havre de paix destiné aux loisirs des Parisiens. Au-dela, du Rond-Point à l'Étoile, la terra incognita de Louis XV va passer, en cinquante ans, du jardin potager à l'immeuble de rapport. Le quartier
nouveau esl dédié par ses promoteurs à la bourgeoisie enrichie du Second Empire.
LE JARDIN D'HIVER
Premier ancêtre du Grand Palais, il fut construit en 1847 par la Sociéte immobiliere des Champs-Élysées, sur les plans de H. Meynadier de Flamalens. Cet édifice charpenté en fer comportait une voûte vitrée supportée par cent quarante-quatre colonnes. ll fut démoli en 1858 au moment du percement haussmannien de la rue de Marignan. La magie d'un espace intérieur totalement transparent, dont la charpente aérienne s'habillait de végétation grimpante, en fit un lieu extraordinaire de fête. Un dispositif de promenade était intelligemment agencé sur deux niveaux, autour d'un bassin profond, complété par deux bassins en demi-lune disposés latéralement. Toules les végétations du monde s'épanouissaient au milieu de jets d'eau, mais faute d'accueillir des manifestations commerciales, l'équilibre financier restait précaire. C'est dans ce jardin couvert que, lors d'un concert, le musicien belge Adolphe Sax lança le saxophone.
L'HIPPODROME DE L'ALMA
Autre précurseur du Grand-Palais, cet hippodrome présente une verrière à plusieurs pentes et à lanterneau mobile qui laisse filtrer la lumière diurne. Dix rangées de gradins disposés sur tout le périmètre, destinés à accueillir dix mille personnes,entourent la piste où se déroulent des spectacles hippiques, de cirque, de music-hall et des banquets. M. Ziedler éclaire en 1878 son hippodrome à l'électricité et recrute des écuyères-serveuses en tenue légère qui obtiennenl un énorme succès.
Le palais de l'Industrie
LE PALAIS DE L'INDUSTRIE
Construit sur le Grand-Carré par Victor Viel et Alexis Barrault à l'occasion de la première Exposition universelle de 1855, il a été la vitrine économique de la France jusqu'à sa démolition en 1897. Son immense façade de pierre, riche de 408 fenêtres, masquail la véritable structure du batiment, une admirable nef vitrée soutenue par une charpente métallique et accompagnée de chaque côté par une nef latérale, sans support intermédiaire. Écrin de la production industrielle, commerciale, agricole, horticole, française et étrangère, le Palais de l'induslrie le fut aussi pour la recherche scienti?que ou les concours hippiques à partir de 1866, date de la création de la Société hippique française. ll était surtout le lieu officiel d'accueil du Salon, évenement artistique et mondain très attendu. Napoléon III, ému par les scandales provoqués par les injustifiables refus du jury, y fit organiser le premier Salon des refusés, en 1863 où figurait, entre autres, “le Déjeuner sur l'herbe", de Manet.
LA CONSTRUCTION DU GRAND PALAIS
Le 13 juillet 1892, le président Sadi Carnot promulgue un décret instituant l'Exposition universelle de 1900. ll fallait devancer les Prussiens qui avaient la même idée. Mais où trouver l'emplacement puisque les expositions précédentes avaient légué des bâtiments que personne ne songeait à détruire. La commission préparatoire décide a l'unanimité d'annexer le Grand-Carré des jeux. Liberté est laissée aux concurrents au concours lancé en 1894 de conserver ou de détruire les édifices existants (Palais de l'Industrie et pavillon de la ville de Paris). Quand un arrêté ministériel ouvre le concours officiel en 1896, tous les dirigeants semblent convaincus que le succès de l'Exposition repose sur celui du Grand Palais. Celui-ci ne sera pas l'œuvre d'un seul architecte comme l'Opéra ou le Petit Palais. C'est une oeuvre collective, reflet esthétique de son époque, qui a échappé au
désastre grâce à l'efficacité de son commissaire général Alfred Picard, et de Charles Girault, nommé architecte en chef de l'ensemble architectural constitué par le Grand Palais, le Petit Palais et le pont Alexandre III. Trois architectes sont finalement désignés : Henri Deglane pour la partíe donnant sur l'avenue Winston-Churchill, Albert Thomas pour celle donnant sur l'avenue Franklin-Roosevelt. Albert Louvet n'obtient que la partie intermédiaire. Le plan général obéit à deux tracés d'orientation à angle droit : est-ouest (celui des Champs-Élysées), idée de Louis XI\/ reprise par Napoléon pour l'Arc de Triomphe, nord-sud (des Champs-Élysées vers le dôme des Invalides).
Dès l'origine, les critiques se sont abattues sur les principaux partis architecturaux adoptés par les concepteurs, de multiples affaires (affaire Dreyfus, scandale de Panama, problème de la laïcifé) entraînent une instabilité politique, la situation foncière entre la Ville et l'État concernanf le Grand-Carré des jeux continue à ne pas être claire, autant de facfeurs qui altèrenf les discussions.
Le programme de l'Exposition universelle s'articule en huit sections, qui permettronf au public d'assister aux transformations successives de la matière première jusqu'a l'achèvement du produit fabriqué. À l'exposition artistique contemporaine qui doit se
dérouler dans le nouveau Grand Palais, sera jointe une exposition rétrospective centennale depuis 1800 qui aura lieu au Petit Palais.
Étant donné le chiffre de cent millions adopté pour le devis initial et celui de soixante-treize millions pour les travaux, la ville de Paris accepté de prendre à sa charge un cinquième de la facture totale à condition que l'État souscrive la même somme. Pour respecter un tel budget, il faut s'assurer le concours d'établissements financiers, lancer des "bons d'exposition" permettant la recette des entrées avant même l'ouverture. Une souscription de quarante millions est lancée auprès du public. Cinquante millions de visiteurs vont dépasser les espérances : avec un budget parfaitement respecté, il restera à l'État une bonne partie de son argenf. La ville de Paris héritera du Petit Palais sans débourser un cenfime.
Lorsque le chantier s'ouvre, les architectes ont pris soin d'en clôturer les abords par une haute barrière, de telle sorte que les Parisiens ne voient pas la démolition de l'ancien Palais de l'lndustrie, ni les terrassements ou la construction du nouveau bâtiment. Un tunnel est percé pour relier le quai de la Conférence au site et quatre voies ferrées de petit écartement viennent alimenter les trois sifes en pierres, briques, bois, cimenf, métal, etc..., puis des péniches évacuent les gravats. Un restaurant coopératif est ouvert aux centaines d'ouvriers du chantier, ainsi que deux infirmeries de premier secours.
Les bardeurs
Lors du terrassement, il faudra planter dans le sable argileux plus de trois mille quatre cents pieux de dix mètres de longueur. Une masse de béton est ensuite coulée jusqu'au niveau du sol, sur lequel reposeront les murs en meulières formant les sous-sols, surmontés eux-mêmes des premières pierres de taille du soubassement. Le maçon, "le Limousin" qui succède aux terrassiers belges et italiens, travaille tous les jours et sera présent tout au long du chantier pour les cloisons, plafonds voûtés, sol. ll utilise la brique rouge de Vaugirard ou de Bourgogne, la pierre meulière ou les pierres de taille grattées à neuf récupérées de la démolition du Palais de l'lndustrie.
L'architecture métallique est aussi importante que l'appareillage de pierre. Trois hectares de vitres épaisses et armées sont supportés par une immense résille métallique. Trois entreprises se partagent le travail : Daydé et Pillé pour la nef transversale et la coupole, Moisent-Laurent-Savey pour la nef nord, et Baudé-Donon-Roussel pour la nef sud.
Le faîtage de la charpente de la grande verrière ou des differentes parties du toit représente une ligne de couronnement de plusieurs kilomètres de faîteaux décorés en godrons, en zinc et plomb. La ferronnerie concerne surtout celle qui orne les escaliers majestueux en fer à cheval, dus a l'imagination d'Albert Louvet. Les limons de l'escalier portent sur des colonnes de porphyre vert, d'un galbe vigoureusemeni trapu. Les paliers sont décorés de mosaïque romaine de marbre polychrome.
Pour un palais décore par soixante-dix sculptures de grandes dimensions, cet hymne entonné par la Republique glorifiant les arts relève lui aussi de l'exploit. Cinquante-trois sculpteurs, la plupart laureats du prix de Rome et tous sociétaires du Salon des
artistes français vont exercer leur talent dans l'esprit de cette alchimie eclectique voulue par la commission du commissariat général de l'exposition universelle. Cette statuaire libère une certaine grandiloquence baroque, une sorte d'emphase gestuelle naturelle au concours de Rome, où les thèmes, nourris d'humanités classiques, introduisent naturellement la déclamation. Six mille tonnes de pierres à remuer avec délicatesse, dont une bonne partie réservée aux sculptures, chapiteaux, pilastres relèvent effectivement de l'exploit. Les quadriges en cuivre repoussé mesurent chacun dix mètres au cube, et la moindre statue assise mesure deux metres...
Les quadriges de Georges Recipon
Au premier regard, le Grand Palais attire l'attention par le défilé des colonnades et la présence de ses groupes sculptés monumentaux, mais si l'oeil s'attarde sur les corniches dominant les façades, il perçoit le jeu délicat de l'ornementation, six rangées de frises s'étagent en rubans parallèles autour du monument, avec godrons, denticules, perles, flots grecs ou balustres. Sans parler des centaines de mètres de guirlandes des portes et des fenêtres, des modillons de balcons, des vases d'amortissement.
A l'est (vers la Concorde), Louis-Edouard Fournier a composé une mosaïque d'émail de soixante-quinze mètres de long, divisée en deux paries, de chaque côtée du peristyle d'entrée, elles-mêmes divisées en cinq sujets. L'art du Cambodge debute vers la Seine, suivi par celui d'Assyrie, puis de l'Egypte, la Grèce de Phidias précède Ia Rome de Titus. A droite de l'entrée, l'art de Pompei, puis l'art chrétien, l'art byzantin, l'art classique et finalement l'art contemporain concluent le décor vers les Champs-Élysées. Le long de l'avenue d'Antin, le grès cerame s'épanouit sur vingt-quatre rmètres de longueur avec l'art roman, le Moyen-Âge, puis la Renaissance où Michel-Ange fraternise avec les Trois Grâces de Germain Pilon. Le 17e et le 18e siècles donnent Versailles en spectacle. Vers la Seine, la cinquième composition est consacrée au 19e et réservée aux grands noms de ce temps.
En face, le Petit Palais est l'oeuvre du seul Charles Girault qui a su emporter l'adhésion du jury par son plan trapézoïdal, utilisant au maximum la superficie disponible. Dedié à la ville de Paris, il est aussi abondamment décoré par les sculpteurs, les
ornermanistes et les peintres. Les groupes sculptés représentent "La ville de Paris entourée des Muses" et "Les génies de la peinture et de la sculpture". La peinture constitue également une part importante de l'ornementation. Albert Besnard, célèbre potraitiste de la Belle Époque décore la coupole d'entrée avec "La Pensée", "La musique", "La Mystique". A gauche de l'entrée, "l'Histoire de France" est relatée par Cormon. Les autres coupoles ont été confiées à Maurice Denis et Alfred Roll.
Le troisième elément du projet architectural de l'Exposition 1900 est le pont Alexandre llI. Le tablier du pont a été baissé du maximum pour ne pas compromettre la perspective des lnvalides. Les éléments sculptés y sont aussi abondants qu'au Grand Palais : nymphes en cuivre repoussé, candélabres aux facettes multiples, lions, proues de galère, flore... Les piliers d'angle sont surmontés de pégases dorés qui encadrent majestueusement, en perspective, le lointain dôme des lnvalides. Les grandes sculptures de la base des piliers sont dediées à la France. Les pavés de bois qui rendent le pont trop glissant ne seront remplacés qu'à la Seconde Guerre mondiale.
Le 14 avril 1900, le jour de l'inauguration, la nouvelle perspeciive est eblouissante : l'or du dôme des lnvalides domine la pierre blanche du pont et des deux palais. Cet ensemble, chef-d'oeuvre d'urbanisme, constitue le "clou" de l'Exposition. En raison de retards techniques, l'inauguration des bâtiments n'a lieu que le 1e mai et dans la plus grande discrétion.
Exposition universelle 1900, peinture française
UN BERCEAU DE L'ESTHÉTIQUE DU 20e SIÈCLE
SALONS D'ARTISTES
L'histoire de l'art moderne se poursuit en 1900 par une exposition décennale officielle où figurent les œuvres d'artistes admis par les jurys des Salons depuis 1889. Elle offre un panorama incomplet de l'art contemporain puisqu'elle ignore la plupart des artistes novateurs. Y triomphent les académiques qui demandent la consécration par les récompenses officielles : Gérome, Bonnat, Bouguereau, Rochegrosse ou les modernistes : Meissonnier, Roll, Blanche, tous excellents techniciens, mais souvent conventionnels.
Les Salons historiques ont eu pour vocation d'exposer les œuvres des artistes lorsqu'ils étaient jeunes, inconnus et souvent dénigrés. Ils sont dirigés par des artistes bénévoles, élus démocratiquement par leurs pairs. Pourtant l'art novateur n'a pas d'emblée reçu l'accueil qu`il méritait. Ce combat fut livré sur le territoire du Grand Palais ou dans le monument dès qu'il fut construit. Le Salon des lndépendants s'est ainsi affranchi des jurys rétrogrades et des récompenses officielles, de sa création en 1884 jusqu'a la mort de son fondateur, Paul Signac, en 1935.
De 1667, année ou Colbert crée le Salon de peinture jusqu'à sa dissolution en 1880, il n'y a pour les artistes qu'une vitrine pour présenter leurs œuvres : celle du Salon qui détient le monopole absolu. Tant que celui-ci, placé sous la tutelle de l'État et de l'Académie, s'est montré capable d'assimiler les tendances nouvelles, il a pu sauvegarder son prestige. En se sclérosant au moment ou règne une grande effervescence artistique alimentée par des mouvements aussi décisifs que le romantisme, l'impressionnisme ou le pointillisme, il va le perdre. Le Salon officiel, dissous en 1880, est remplacé l'année suivante par le Salon des artistes français, mais les jurys restent arc-boutés à la convention rétrograde de la pérennité du seul art académique, dont les racines plongent dans l'Antiquité.
En 1874, Monet tente avec quelques amis démunis de fonder une association coopérative, susceptible d'organiser des exposifions-ventes, libres, sans jury et récompenses. En 1884, d'autres artistes créent un Salon libre, celui des lndépendants, ouvert à tous, et non plus à un groupe d'amis comme l'avaient fait les lmpressionnistes dix ans plus tôt. La période 1884-1914 se déroule dans des baraquements provisoires situés entre les Tuileries et le pont de l'Alma. En 1909, Paul Signac, devenu président de la Société présente une requête pour intégrer le Grand Palais, ce qui sera effecfif en 1920.
A partir de 1903, un autre salon, celui d'Automne, doté d'un jury coopté, permet aussi aux novateurs de se faire connaître. ll a été créé par Yvanhoe Rambosson, conservateur des musées de la Ville de Paris, et présente les arts appliqués, sans hiérarchie
entre les sections. Les lndépendants, salon printanier, présentent toujours la nouveauté : ainsi les peintures par \/laminck, Derain, Braque ou Matisse, exposées en avril 1905 au Salon des lndépendants dans les deux grandes serres du Cours La Reine, sont-elles baptisées "fauves" six mois plus tard au Salon d'Automne, au Grand Palais. Le Salon de 1907 marque les esprits à l'occasion de la rétrospective Cézanne, mort l'année précédente. En octobre 1944, le Salon de la Libération invite Picasso dont les peintures et les sculptures provoquent de mémorables émeutes.
Les deux Salons ont marqué l'histoire de l'art, pénétrés de deux philosophies différentes : l'excessive tolérance des lndépendants, farouchement attachés à leur soif de liberté absolue, contient en germe les risques de déviance. Le Salon d'Automne n'a pas été fondé par des peintres et accueille, dans un souci d'égalité, arts mineurs et arts majeurs. ll se montre curieux d'une modernité mesurée, compatible avec le savoir-faire traditionnel.
Le Salon des Artistes décorateurs, fondé en 1901, se veut un point de rencontre des arts utiles par opposition aux arts libéraux. Point de convergence de l'art, de l'artisanat et de l'industrie, il tente d'exprimer sa foi dans le rôle de l'artiste créateur de modèle, soucieux de la diffusion par une production industrielle. lvlais comment s'éloigner du rève élitiste pour aboutir au luxe destiné à un large public ? "Utopie et réalité", l'Exposition internationale des Arts décoratifs industriels et modernes de 1925 concentre les clivages et les malentendus engendrés par les arts décoratifs. Elle a envahi le nouvel axe historique ouvert en 1900 : avenue Winston Churchill, Grand Palais, esplanade des Invalides. L'art décoratif industriel et moderne, artisanal a trouvé refuge au Grand Palais, où la réalité a rejoint l'utopie.
La liste des Salons d'artistes ayant animé la scène artistique à Paris ne se limite pas à ceux précédemment cités. De nombreux autres existent, souvent créés à l'occasion de dissidences doctrinales mineures : cette prolifération, incompréhensible pour le public, compromet leur avenir, mais hypothèque dangereusement le retour des plus indispensables dans le Grand Palais rénové.
L'ART ÉQUESTRE 1901-1957
La nef du Grand Palais est destinée, dès sa conception, aux sculptures de plein air et aux concours hippiques à cause des dimensions de la nef et de la nature du sol constitué de terre sableuse, car il était évident qu'il ne serait pas viable avec les seules recettes des Salons d'artistes. Les premiers concours hippiques qui s'y déroulent doivent d'abord composer avec les Salons pour bénéficier de dates favorables. La Société hippique française, dont l'autorité de tutelle est le ministère de l'Agriculture, a été créée en 1865 par Napoléon lll "afin de favoriser l'emploi du cheval de service" (le sauteur n'a pas encore les honneurs du public) et organise tous les ans a Paris un concours central. A partir de 1886, ces concours ont lieu au Palais de l'lndustrie, jusqu'à sa destruction en 1897, et la conquête du Grand Palais en 1901. ll ne s'agit pas de promouvoir une race de chevaux rapides sur les courtes distances. Les chevaux sont classés par taille. Le concours commence par les tailles inférieures pour laisser monter crescendo l'intérêt, comme si la taille des concurrents était un gage de leur valeur. À partir de 1908, le saut d'obstacles prend une plus grande importance et à partir de 1912, on note la présence de plus en plus importante des milifaires... Dans les années 20, le Concours hippique de Paris devient un événement sportif et mondain de première grandeur.
Les hommes de cheval de toutes les régions et les Parisiennes les plus élégantes viennent applaudir aux succès des amazones, des officiers et des gentlemen. En 1928, le public s'écrase dans les tribunes d'un Grand Palais archi comble. Vestiges des temps passés, les chevaux d'atteIage foulent les premiers la célèbre piste. Une reconstitution historique rassemble l'histoire de la cavalerie française, des courses de bagues, la cavalerie du temps de Turenne, des régiments de cuirassiers de 1690 à 1928. À partir de 1930, les femmes commencent à briller dans les concours.
L'onde de choc de la débâcle de 1940 se répercute sur toutes les activités, mais les besoins vitaux de l'élevage du cheval exigent la pérennité de l'action de la Société hippique française qui adopte un programme de transition. ll ne comporte que des concours locaux, en zone occupée ou en zone libre, pendant les quatre années d'occupation. Après guerre, le Concours hippique trouve refuge au Bois de Boulogne, dans le fameux Vel' d`Hiv' et au Parc des Princes. C'est en 1957 qu'il se déroule pour la dernière fois au Grand Palais.
La croupade, aquarelle de Georges Busson
LES SALONS DE L'AUTOMOBILE 1901-1961
De cent cinquante à la fondation en 1895, l'Automobile-Club de France va passer à deux cent cínquante mille membres en 1922. En 1895, à l'issue du premier Paris-Bordeaux-Paris, les dirigeants demandent aux responsables du Salon du Cycle d'abriter au Palais de l'lndustrie le premier Salon de l'Automobile. Les voitures et les chassis sont relégués modestement dans l'ombre, sous les escaliers de la nef. Les 2e et 3e Salons ont lieu sur l`esplanade des Tuileries et connaissent un succès fou. Le Rond-Point va devenir le carrefour de l'automobile. Les grands carrossiers qui habillent les chassis nus vendus par les marques sonf installés tout le long de l'avenue Montaigne.
Le premier Salon de l'Automobile au Grand Palais a lieu en janvier 1901 et attire, autour de six cents stands, tout le Paris élégant et passionné ainsi que des milliers d'étrangers. En 1902, les organisateurs s'enhardissent à donner des fêtes nocturnes et commence l'ère des salons de gala. Le succès est tel que les grandes serres de l'Alma sont mobilisées pour servir d'annexes.
La dixième édition, en 1907, donne lieu à une mémorable rétrospective d'un siècle de locomotion à vapeur et à pétrole. Mais l'année suivante, les économies d'éclairage et de décoration rendent triste le onzième salon, et celui de 1909 sera supprimé. La guerre de 1914 provoque un sinistre entracte jusqu'en 1919.
Le Salon de 1919 connaît un bouleversement total, avec l'apparition de voitures légères construites en séries importantes. André Citroën, polytechnicien, s'est adapté au système américain des chaînes qui accélèrenl la construction, et au service après-vente organísé en réseou dans toute la France, soutenu par une publicilé accrocheuse. Le Salon de 1921 fait voisiner les automobiles de prix moyen et les modèles de luxe. L'offensive américaine a commencé : par navires entiers arrivent des voitures silencieuses, souples, aux carrosseries éclatantes, Ford, Packard, Dodge, Chrysler... mais très gloutonnes.
En 1924, le Salon est désormais divisé en deux temps : le premier est réservé aux véhicules de tourisme; le second concerne les véhicules industriels, les moteurs et les machines-outils. Mille exposants ont réservé un stand pour les vingt journées.
Désormais, la publicité automobile identifie voiture et Grand Palais. En 1929, tout s'effondre et la dépression économique se fera sentir en France jusqu'en 1931. Les trois grands, Cítroën, Peugeot et Renault réalisent alors les trois quarts de la production et un million de voitures circulent en France. Paradoxalement, malgré la crise, la carrosserie des voitures haut de gamme connaît un âge d'or et le Grand Palais sert de tremplin à ce succès. La ligne est préférée à l'aérodynamisme. La firme Citroën, mise en liquidation judiciaire, meurt d'avoir vu trop grand et participe pour la dernière fois au Salon en 1934.
L'aérodynamisme apparu avec la traction Citroën va relancer les ventes. Au cube historique succède la silhouette moderne carénée et le Salon apparaît plus que jamais comme l'endroit qui apporte les éléments de la constitution fondamentale de l'automobile moderne, surtout en matière de traction. Le décor doit être digne de sa renommée. Le design du grand ordonnateur, André Granet, emprunte aux grands artistes les tonalités en vogue. La coupole de la nef, désormais investie par des voiles décoratifs, est complètement masquée par des architectures éphémères.
Le Salon de 1939 est annulé pour cause de mobilisation générale et les portes du Grand Palais se refermenl pendant sept ans. C'est Georges Bidault, chef du gouvernement provisoire qui inaugure le 33e Salon en 1946. André Granet a préparé un décor simple pour les industriels démunis. Huit cent mille visiteurs se bousculent néanmoins pendant dix jours dans les allées. L'espoir revil. Pourtant, les usines, sauf Simca, sont détruites à 60 % et manquent de charbon, d'acier, de matières premières et
d'électricité. La priorité est donnée à la production d'engins utilitaires. Deux merveilles cristallisent l'espérance, la 4 CV Renault et la Dyna Panhard 3 CV, clés en main dans trois ans. Les impératifs de l'époque poussent les bricoleurs de génie à la miniaturisation spartiate des véhicules.
En 1948, l'euphorie règne et tous les grands constructeurs sont de retour, anglais, américains, italiens et même allemands. Le public s'agglutine devant la 2 CV et la 4 CV qui vont équiper les vacances des Français pendant près de vingt ans. Première monocoque Peugeot la 203 possède d'indéniables atouts familiaux, rassurante par son poids, ses 7 CV et les 115 km/h promis sur catalogue.
Le Salon de 1951 annonce le déclin et la disparition des marques de prestige françaises et des carrossiers qui habillaient leurs modèles. Les études aéro-dynamiques amènent de profonds changements dans la silhouette des véhicules, le ponton fait disparaître les ailes qui sont intégrées dorénovant à la carrosserie. Les Français éprouvent une frénésie de voitures et d'évasion. Les amateurs ont soif de chromes, de calandres profilées, de luxe et d'accessoires clinquants que les voitures américaines proposent dans la nef.
En 1955, naît, conçu dans le plus grand secret, un chef-d'oeuvre de modernité colorée et d'innovation technique : la DS. La clientèle, conquise, est enthousiaste : douze mille commandes sont enregistrées le jour du vernissage. Au lancement de la Dauphine, Renault au Salon de 1956, avec une illustre marraine, Brigitte Bardol, le succès est immédiat et l'exportation vers les Etats-Unis s'accélere. La Fiat 500, lancée en 1955, la Mini Austin et, derriere le Mur, la Trabant trouveront chacune leur public.
Charles De Gaulle inaugure le 48e le dernier Salon de l'Automobile au Grand Palais en octobre 1961, les chambres syndicales ayant opté pour un déménagement vers la Porte de Versailles.
LES SALONS DE L'AVIATION 1909-1951
En 1908, au milieu d'une rétrospective qui va de l'avion d'Ader au Blériot, au Wright l'aviation n'est représentée au Salon de l'automobile et du cycle qu'à travers la production de quelques motoristes dont les stands sont très mal placés. Le
mécontentement des "aviateurs" est si grand qu'ils décident de créer pour septembre 1909 leur première vraie et originale manifestation. André Granet a disposé des tentures tricolores qui, descendant des cintres, disputent l'espace aux dirigeables et aux montgolfières. Granet sera le commissaire général du Salon et son architecte jusqu'en 1959. Organisée par la Chambre syndicale des industriels de l'aéronautique dans le but de devenir un vaste marché, l'exposition provoque peu de commandes, celles-ci ayant deja été passées chez les principaux constructeurs, Blériot, Wright, Farman. Quant au public, il se trouve un peu décontenancé par la variété des modèles.
Dès le second Salon, l'aviation est devenue populaire grâce aux grandes courses internationales et aux meetings où les pilotes sont des stars adulées. En 1912, l'aéronautique militaire et navale, en plein essor, exige des performances : monter et aller de plus en plus vite, avec une autonomie accrue. L'accent est mis sur la puissance des moteurs et l'efficacité des hélices. À la veille de la guerre, une dizaine de bons aéroplanes sont assez performants, construits dans les usines Voisin, Anroinette, Farman, Bréguet ou Bleriot. L'évolution rapide, forcée et brutale de la technique aéronautique de 1914 à 1918, échappe aux pionniers et passe aux mains des politiuques, des états-majors et des industriels.
En 1919, la 6e exposition de la locomotion aérienne marque le passage de l'aviation de guerre à l'aviation civile. Dans la nef nue, sans décor, l'intérêt est porté sur la pédagogie aéronautique : conception et fabrication, essais de cellule, de fuselage, d'atterrisseurs, d'aérodynamisme... Les appareils quittent graduellemenl leur allure d'aéroplanes pour adopter celle de l'avion à l'envergure de plus en plus vaste. La présentation dans la nef se fera souvent après un montage par éléments sur le stand, les portes du Grand Palais n'étant plus assez larges. A partir de 1926, le Salon a lieu tous les deux ans.
En 1930, le 12e Salon présente quarante avions et douze hydravions. Le Ministère de l'Air a regroupé dans une exposition unique tout ce qui concerne l'aviation française, civile, militaire, navale, coloniale et le tourisme aérien nouveau venu. Le mot d'ordre est la sécurité. Mais l'élan de l'aviation de tourisme va se briser dans les années d'avant-guerre où prédominent les appareils militaires.
En 1938, la proximité de la guerre est telle qu'elle semble avoir écarté les réticences des États à présenter les derniers-nés de leurs appareils. L'exposition montre tous les progrès réalisés dans le domaine de l'aérodynamique et dans celui de la technique constructive ou de la sécurité, ainsi que le surarmement aérien de l'Europe dans un climat de méfiance réciproque.
Après la terrible tourmente, en 1946, la manifestation est essentiellement civile et les moteurs sont de nouveau à l'honneur. L'avion a adopté le profil du squale et le Douglas DC 4 est entré dans la famille d'Air France.
En 1949, la période automnale est abandonnée au profit du printemps, plus propice aux démonstrations en vol au Bourget ou à Orly, corollaires du Salon. Le Constellation est présenté en majesté et dominera l'Atlantique jusqu'en 1957. Les gros avions sont exposés en maquettes ou tronçonnés. Le 20e Salon, en 1951, sera le dernier accueilli au Grand Palais devenu trop exigu pour héberger des monstres de soixante-dix tonnes.
LES SALONS DES ARTS MÉNAGERS 1926-1960
Ministre de l'Hygiène et de l'Assistance sociale, Jules Louis Breton inaugure en 1922 le premier Salon des appareils ménagers dans des baraquemenfs installés sur le Champ-de-Mars. Devant le succès, la troisième édition a lieu au Grand Palais où il occupe entièrement la nef et les balcons. Son fils André sera commissaire général de 1926 à 1930 et Paul, son second fils, succédera au précédenf à partir de 1930. En février 1926, cent quarante-cinq mille visiteurs viennent admirer l'auto-Thermos et la Cocotte-Minute. En 1927, "l'Arf ménager" devient la revue mensuelle du Salon et on procède sous la nef à l'élection de la meilleure ménagère. La radio naissante et la presse saluent l'évènement en l'amplifiant. De multiples activités gravitent autour du Salon : cours de cuisine, confort rural, ameublement, décoration, concerts...
En 1930, une révolution sociologique annonce des temps nouveaux. Francis Bernard, l'un des promoteurs de l'affiche moderne, symbolise ce changement en inventant le personnage-robot de la "Marie mécanique", les appareils ménagers remplaçant peu
à peu les "Maries", bonnes à tout faire des siècles passés. Le concept de l'affiche est franchement simplifié : silhouette symbole, lisible de loin en un clin d'oeil, et trois informations (le titre, le lieu, la date).
Dans les premières années du 20e siècle, les appareils sont lourds, encombrants, inesthétiques, et leur performance se limite à une motricité le plus souvent manuelle. Leur diversité et leur qualité évoluent au gré de la généralisation de l'usage de l'énergie
électrique et du confort général qui l'accompagne.
Les Années 20 apportent une révolution esthétique : l'objet le plus humble de la vie quotidienne est touché par le design. Le stylisme américain rafraîchit l'hexagone dès la Libérafion. Le vent d'Ouesf tourne au vent du Nord scandinave puis au bel canto milanais pour revenir en 1955 aux turbulences françaises et zazou. Les organismes de crédit vont par ricochet accélérer les cadences de production. En 1960, le robof lvlarie, inventé par le fondateur de Moulinex, se vend par millions en kit de vingt
accessoires.
La nouvelle nature des énergies utilisées, électricité et gaz, oriente le Salon vers l'éducation de la femme d'intérieur : il s'agit d'apprendre et de comprendre le mode d'emploi des appareils, sur le plan de l'économie, de la prévention et de la sécurité. La
promotion des marques, par annonce de presse ou par affiche, fait appel à de nouveaux talents : Cassandre, Paul Colin, Loupot, Carlu, Nathan Garamond. La rigueur de la composition, l'influence cubiste ou la nécessaire clarté symbolique du message se font sentir. L'évolution des logos des marques anciennes, Lu, Nicolas, Saint-Raphaël est remarquable par la simplification qu'elle opère. La distribution des produits quitte la boutique de détail pour les magasins à prix unique qui voient le jour dans les grandes villes après 1930.
La guerre de 1939 met un terme à ces manifestations commerciales pour dix ans. Elles reprennent un cours normal à partir de 1948. Le Salon du renouveau qui attire huit cenf mille visiteurs voit grand et loin avec les moyens du bord. Les salons suivants accueilleront sous la nef tous les appareils qui vonf réellement révolutionner la maison, dont la fameuse Cocotte-Minute en 1954.
Des espaces entiers sont consacrés à la cuisine reconstituée grandeur nature, à la salle de bains, au salon. Tous les ustensiles indispensables au logis moderne y sont mis en situation. Diverses manifestations rivalisent avec le concours de la Fée du logis : métiers d'art, ameublement, sécurité, art culinaire, blanchissage domestique. De 1950 à 1960, un Salon de l'enfance, corollaire du baby-boom d'après-guerre vient illuminer le Grand Palais de sa féerie enfantine. En 1960, la nef, revendiquée par des ministères gloutons, devienf impraticable. La faculté des lettres a envahi toute la partie sud, une unité d'architecture occupe la moitié de la nef et la Fondafion Lartigue s'est installée dans l'aile nord. Jusqu'à sa disparition, en 1983, le Salon émigre sous l'immense voûte du CNIT à la Défense, qui vient d'être inaugurée.
UN FLORILÈGE DE SALONS 1900-1993
Un florilège de diverses manifestations a envahi la nef au gré de l'évolution de la société ou des opportunités économiques, politiques ou sociales : exposition de l'habitation (1903), salon international de la photo (1906), salon de l'ignifugeage, exposifion des habitations à bon marché (1910), congrès international de l'hygiène scolaire, congrès de teinturerie... tout un inventaire à la Prévert. Cette variété d'activités montre que l'après-Grande-Guerre voit se créer des salons spécialisés, tant les besoins nouveaux exigent des créneaux spécifiques et des lieux appropriés. Les petits fabricants et inventeurs attendent l'ouverture des nouveaux espaces de la Foire de Paris pour s'y installer en 1923.
L'exposition internationale des Arts Décoratifs et des Industries modernes occupe les rives de la Seine le long du cours La-Reine, l'esplanade des Invalides et tout le Grand Palais : la nef et les balcons abritent la mode, la joaillerie, la bijouterie, les fleurs, le textile, le verre, la céramique.
La chambre syndicale de la machine agricole est présente dès 1910, la pisciculture, la pêche et l'aviculture sont des invitées épisodiques. La nef abrife tous les animaux si caractéristiques des salons de l'agriculture, ce qui confirme la preuve de l'extraordinaire polyvalence du monument.
En 1931, avec l'Exposition coloniale, l'exotisme envahit le Grand Palais et les rives de la Seine jusqu'à Vincennes. Dans le Grand Palais se déroulent deux cent six congrès spécialisés.
En 1933, la Qualité française, préfiguration du Comité Colbert, fondée en 1954 par Guerlain et Lelong, transforme la nef par un décor Art Déco où chaque section du luxe a désigné son architecte : Eric Bagge, Francis Jourdain... Pour les Floralies qui
accompagnent I'Exposition internationale de 1937, de la nef a l'entrée du Palais de la Découverte, un double escalier à six révolutions parallèles encadre un parterre de fleurs. Le ton général coquille d'oeuf, qui valorise la verdure printanière et les innombrables variéfés de fleurs, fait encore mieux ressortir la vastitude de la nef métallique.
Les Semaines odontologiques trouvent refuge dans la partie d'Antin du palais. La TSF, les Poids et mesures, la philatélie se partagent, avec les Salons d'artistes, l'automobile, l'aviation et le jumping, les espaces laissés vacants par un Palais de la Découverte installé provisoirement. En 1940, avec le Salon de la France d`outre-mer, se déroule le Foyer du soldat indigène. En 1946, le Salon de la Technique américaine illustre un autre hommage à la Technique libératrice. Les archives du Grand Palais restent silencieuses sur les expositions de 1945 jusqu'à 1985, notons néanmoins de nouvelles apparitions philatéliques, des floralies, les créateurs de mode, et en 1989, les ballets de Maurice Béjart pour la célébration du Bicentenaire de la Révolution. Entre des soirées organisées par Madame-Figaro, Citroën, Microsoft, la nef devient un hall à toul faire. Les exposifions commerciales se succedent à un tel ryhtme quelle va se transformer en chantier permanenl. Le monumenf devient le siège universel du contreplaqué et de l'lsorel, du stuc, du staff, du vélum et des cables. L'admirable voûte métallique et vitrée va peu à peu être perdue de vue, masquée par des vélums décoratifs.
LE PALAIS DE LA DÉCOUVERTE
ll a été inauguré en 1937, dans le grand élan de conquêtes sociales et culturelles initié par le Front Populaire. Jean Perrin, prix Nobel et sous-secrétaire d'État à l'Éducation Nationale chargé de la recherche scientifique, en est un des instigateurs. L'évolution du palais en 1936 et 1937 se résume en deux motifs sous-jacents : professionnalisme de la recherche et institutionnalisation de la découverte. ll s'agit de présenter au grand public et à celui de l'enseignement les méthodes des sciences : physique, chimie, biologie, médecine, sciences de la terre... L'animation permanente est assurée avec des films,
des expériences, des maquettes, dans une relation humaine (mediateurs scientifiques-public) fondamentale qui conditionne la qualité et le plaisir d'écoute du visiteur. En janvier 1940, un décret pérennise le Palais de la Découverte en le rattachant à l'Université de Paris. En 1972, il devient établissernent public de l'État doté de la personnalité civile. Si le palais de la
Découverle peut revendiquer l'exceptionnel mérite d'avoir fait comprendre et aimer la science à un immense public pendant presque trois quarts de siècle, son installation n'en a pas moins coupé en deux parties étanches le Grand Palais.
LES GALERIES NATIONALES
Après le second conflit mondial, l'appetence culturelle du public est stimulée dès octobre 1944 par la rétrospective Picasso au Salon d'automne. Mais il manque à Paris un lieu specialisé pour satisfaire ce besoin d'expositions prestigieuses consacrées aux grands artistes. C'est en 1963 que Reynould Arnould est chargé par André Malraux de lancer un plan de réaménagement complet des espaces de la zone nord du Grand Palais. Le monde culturel et médiatique est prêt à accueillir des manifestations
qui ont le mérite de réunir en un seul lieu et pendant une période relativement longue, la production essentielle d`un artiste majeur.
LA FIAC ET L'OIP
En 1978, la nef ouvre ses portes à des manifestations d'env/ergure internationale. La télévision va servir de caisse de résonance à des évènements majeurs. Nous sommes à l'heure des maisons de la culture, des FRAC, des galeries. Créée en 1974, la Foire internationale d'art contemporain organisée par une sociéfé privée, l'OlP, a d'abord exposé dans la gare désaffectée de la Bastille avant son entrée triomphale au Grand Palais, en compagnie d'autres salons : le Livre, Musicora, Expo-langues, Saga... Réunir cent vingt galeries, sélectionnées moyennant finances, en un même lieu prestigieux, c'est
assurément le moyen de provoquer une médiatisation centuplée par un évènement qui rend à Paris une place éminente sur le plan culturel et financier.
D'AUTRES SALONS
Saga, orienté vers le commerce de l'estampe, offre une ouverfure inféressant toutes les disciplines de la reproduction des images : gravure, lithographie, sérigraphie.
Musicora regroupe l'édition musicale sous toutes ses formes, imprimée, enregistrée ou diffusée. Avec, bien entendu, la fabrication des instruments par les divers facteurs.
Expo-langues oeuvre avec succés à la promotion des langues et apporte une information sur l'évolution des techniques
d'enseignement, d'apprentissage et de traduction.
La premiere édition du Salon du livre, en 1981, remporte d'emblée un grand succès et draine cent cinquante mille visiteurs à la fermeture du Grand Palais en 1993. Il atteindra les deux cenf vingt mille à la Porte de Versailles en 1998, mais sur une surface de quarante mille mètres carrés.
Quant à la Biennale des antiquaires, elle réunit l'élite des professionnels de haut niveau.
LES DEUX GUERRES MONDIALES
Lors de la première, le Grand Palais va se transformer en un mois en vaste complexe hospitalier de trois mille places, abritant des salles d'opération, de radiologie, d'ophtalmologie ou de rééducation fonctionnelle. Les résultats exceptionnels obtenus par
cette organisation permettent de renvoyer au front mille blessés guéris, tous les deux mois. Le sous-sol est transformé en parc automobile ambulancier, en écuries. Le jardin, vers la Seine, fermé par des palissades, devient le promenoir en plein air des
blessés et la salle de concert un hall de gymnastique. La vaste nef au sol ferreux sert de terrain d'entraînement où les Poilus rampent nuit et jour.
Lors de la Deuxième guerre mondiale, les Allemands de la Propaganda Staffel ne perdent pas l'occasion de confirmer le Grand Palais dans sa vocation culturelle. Trois semaines avant l'invasion de l'URSS est inaugurée "La France européenne". Pour vanter les bienfaits du retour à la terre, une véritable ferme avec toutes les dépendances et son matériel, est installée dans la nef, le Hameau de la Reine a Versailles est reconstitué aux Champs-Élysées. La propagande hitlérienne poursuit son effort par une autre manifestation, tout aussi germanophile, antibolchevique et anglophobe en 1942. Le théatre du Palais fait place à un stade en 1943, sans grand succès. A la Libération, quelques gardiens de la paix FFT barricadés a l'intérieur du bâtiment tirent sur un char Tigre qui ouvre le feu sur le Grand Palais. Toute la partie nord s'enflamme et l'incendie sera difficilement maîtrisé. Trois jours après, deux cents Gl installent leurs jeeps sous la nef, bientôt suivies par celles de la 2e DB.
LA RESTAURATION
Au mois de juillet 1993, un rivet tombe de la structure métallique lors d'un défilé de mode et, après étude, la fermeture provisoire de la nef est décidée. Divers rapports vont être diligentés, jusqu'à une importante campagne de presse qui entraîne le classemenf en Monument historique le 6 novembre 2000. Les gigantesques travaux de réhabilitation vont pouvoir commencer.
Contrairement à une idée très répandue, le Grand Palais n'a pas été conçu comme un monument provisoire, mais son terrain d'assise, sur la moitié de son périmètre, compromettaif sa stabilité, et la crue de la Seine en 1910 a sans doute aggravé les désordres. La sécheresse du sous-sol a aussi endommagé les milliers de pieux en chêne, surtout lors de la construction de la voie souterraine Georges Pompidou et du prolongemenf de la ligne 13 du métro qui ont privé les assises du bâtiment du nécessaire apport aquatique de la Seine. Le Grand Palais a été enfin victime de ses utilisateurs successifs. Depuis 1900, tout installateur de stand suspendait aux cintres métalliques de la voûte des cables sustentateurs. Quatre-vingt-treize ans de foires commerciales ont eu raison de quelques boulons intensément sollicités. Le monument se fragilisa par les poutres et s'enfonça dangereusement par les pieux.
ll est donc nécessaire de consolider les fondations, sans perturber le mode de fonctionnement élaboré par les ingénieurs de 1900 (injecfion de ciment dans tous les vides apparus, exécution de fondations plus profondes), et de réparer les charpentes métalliques.
ll faudra onze niveaux de planchers pour accéder à toutes les charpentes. Cet échafaudage a permis la dépose des verres armés d'origine, et leur replacement par un verre feuilleté transparent. La réparation des charpentes du dôme s'est révélée plus complexe : elle a consisté à soulever les cinq cent tonnes de cette gigantesque coupole de dix-huit mille mètres. L'ensemble de la charpenfe métallique a été ensuite décapé par grenaillage, protégé par une peinture anticorrosive pour finalement recevoir sa teinte d'origine vert réséda pâle. La lanterne principale, porte-drapeau surmontant la coupole centrale, avait en 1900 son "reflet" à l'intérieur du dôme. Ce lanterneau, disparu pendant l'Occupation, a été reconstitué et mis en place comme un gigantesque cul-de-lampe métallique.
Le Grand Palais a été conçu pour être éclairé par la lumière du jour : la verrière centrale et les espaces dessinés en couronne sur tout le périmètre qui s'ouvraient alors vers l'extérieur par de vastes baies, assuraient l'éclairage des salles latérales de la nef et des salles de peinture et de musique. Le Grand Palais est aussi un monument historique parce qu'il fonctionne en harmonie avec la nature, ouvert sur elle. Il n'a pas été construit pour être cloisonné en compartiments étanches, comme l'ont transformé le Palais de la Découverte ou les Galeries nationales.
L'usure du temps, la guerre et la pollution urbaine ont rongé la pierre des façades sur les pilastres, le long des fûts des colonnes, sur les attiques, dans les sculptures monumentales. Pour la restauration, le ciment est condamné car il provoque des sels qui altèrent la pierre au fil du temps. Lorsqu'il s'agit de parties largement abimées, le tailleur de pierre rescelle les parties défaillantes au mortier à base de chaux sur des pierres de même origine. Le nettoyage s'opère par microsablage à faible granulosité d'oxyde d'alumine et à faible pression. Afin de reminéraliser la pierre défaillante qui s'est délitée, on utilise parfois un produit qui génère un gel de silice dans la piece affectée.
La rénovation des quadriges "L'lmmortalité devançant le Temps " et "l'Harmonie triomphant de la discorde" a nécessité une analyse fine de la fabricafion des sculptures par Georges Récipon en 1900. Chaque quadrige représente une masse sculptée de douze tonnes perchée en porte-à-faux à trente mètres d'altitude : cinq tonnes de cuivre martelé montées sur une charpente de fer, noyée dans une base de béton destinée à assurer le contrepoids des chevaux installés dans le vide. Les chevaux, par souci d'économie, sont les mêmes pour chacun des deux groupes, bien que disposés dans un ordre différent.
Le travail de 1900 va révéler, au démontage des quadriges en 2001, une qualité remarquable. Seul l'effet de piles, contact du fer et du cuivre dans un milieu humide, présentait quelque usure par endroits. Et le miracle eut lieu, à Marsac-sur-l'lsle près de Périgueux. Les huit chevaux piaffenf à nouveau aux angles du Grand Palais, dans l'azur de Paris.
Quel sera l'avenir du Grand Palais ? Après cette restauration, il devient évident qu'on vient désormais pour voir le Grand Palais et non plus seulemenf visiter une exposition, dont le décor masquait l'admirable témoignage de l'architecture de fer. Actuellement, l'occupation de fait par trois institutions publiques, le Palais de la Découverte, les Galeries Nationales et le commissariat de police, implique une certaine exigence qui exclut toute rentabilité de ce monument. Celui-ci devra, pour survivre, s'autofinancer le plus possible pour assurer son entretien et s'adapter aux besoins des différentes manifestations sans perdre de vue sa spécificité et sa grandeur. Dans ce cadre rénové, pourront s'épanouir les arts consacrés ici même des l'origine à travers les différents Salons, la mode, l'édition, les antiquités, les sciences, le septième art, les medias et leurs spectacles télévisés, ou les prototypes de l'industríe moderne, l'automobile, l'aviation, la grande vitesse, l'informatique et l'art de vivre.
Jean Monneret
LE GRAND PALAIS
Paris, Éditions de la Réunion des Musées Nationaux, 2006
NS 77972
Sur le Grand Palais, on peut lire à la Bibliothèque Forney
Concours pour les deux palais des Champs-ÉIysées, Exposition internationale de 1900. Paris : E. Bernard, 1896. 45 p de planches
NS 17879 différé
[Exposition internationale Paris, 1900] La frise en mosaïque du Grand Palaís. París : Revue des Arts decoratifs, 1900. 29 p
UNIV "1900" T4
PLUM (Gilles). Le Grand Palais : l'aventure du Palais des Beaux Arts. Paris 2 Réunion des Musées Nationaux, 1993. 143 p
NS 43149 différé
Les quadriges 1900. Les portiques d'angle du Grand Palais. Dans :
Connaissance des Arts, avril 1958, n° 74, pp 86-91
VINCON (Robertî-Jean). Demain au Grand Palais.
Dans : Connaissance des Arts, novembre 1969, n° 213, pp 132-133 et 202
PALEM (Patrick), Quadriges du Grand Palais : hístoire d'une restauration.
Dans : Découverte, février 2005, pp 16-25