ARTISANAT ET TISSAGE
CHAUSSETTES ET BAS DES PAYSANS TURCS
15 MARS au 15 AVRIL 1967
Les Nouvelles Littéraires du 30 mars 1967 - n°2065
Une exposition originale " Chaussettes et bas des paysans trucs", qui nous vient d'Anatolie, est présentée dans le cadre ravissant de l'Hôtel de Sens. Couleurs chaudes, harmonies nuancées... L'œil est séduit. Mais le symbolisme est étonnant : les bas d'une fiancée, ceux d'un berger ou d'un veuf désirant se remarier ont tous des motifs divers. Alphabet mystérieux exprimant le bonheur ou le malheur, les superstitions ou les liens du cœur. (Ancien Hôtel des Archevêques de Sens, 1, rue du Fíguier)
J.D.
L'Aurore - 14 mars 1967
Ces drôles de chaussettes...
Dans le vénérable hôtel de Sens, a lieu l'exposîtion la plus insolite de l'année : 300 chaussettes turques sont présentées aujourd'hui au Tout-Paris en présence de M. Nureddin Vergin, ambassadeur de Turquie, et du président du Conseil municipal, M. Paul Faber.
"Certaines de ces chaussettes, m'a dit M. Mukadder Sezgin, conseiller culturel, datent de deux siècles, d'autres sont contemporaines. Elles ont toutes été tricotées par nos paysans à leurs moments de loisir. Un professeur à l'Académie des Beaux-Arts d'Istanbul a mis 40 ans pour réunir la collection. Chose étonnante, elle est très op'art et je suis certain que vos stylistes de mode pourront en faire leur profit.
L'heureux possesseur de cette collection, M. Ozbel Kenan, vient d'arriver à Paris. Petit, tempes argentées, il a assisté à la mise
en place des chaussettes dans la grande salle du rez-de-chaussée de l'hôtel de Sens. C'est lui qui a suggéré d'ajouter au catalogue prévu des feuillets polycopiés bourrés de croquis expliquant aux Parisiennes désireuses de tricoter des chaussettes turques, le moyen d'y parvenir.
"C'est une véritable détente, m'a-t-il confié et avec la mode des mini-jupes, cela va aux silhouettes féminines".
Le Figaro - 22 mars 1967
L'artisanat turc se porte bien
L'art du tricot se perd paraît-il. En tout cas, pas chez les Turcs ! L'exposition "Chaussettes et bas des paysans turcs qui vient de débuter dans l'ancien Hôtel des Archevêques de Sens (1), vous le prouvera.
Rassembler ces bas dépareillés a demandé plus de trente-cinq années de travail au professeur Kenan Ozbel, diplômé de l'Académie des des Beaux-Arts d'Istambul. Il ne faudrait pas croire que n'importe qui en Turquie peut porter n'mporte quels bas. Suivant la forme, les motifs et les couleurs, on reconnaît l'habitant de tel ou tel village, mais aussi le jeune homme ou la jeune fille, la femme mariée, la veuve qui veut ou non se remarier, etc.
On repère également la condition sociale : défense au notable de porter les bas du berger. Toutes ces distinctions entraînent évidemment une infinité de modèles anciens, bien que les paysannes aient toute latitude pour combiner des dessins nouveaux. Les couleurs, parmi lesquelles triomphe... le rose indien, sont encore obtenues par des procédés primitifs.
Aux côtés de ces bas sagement alignés vous verrez aussi des tapis de prière, des nappes et des coiffures brodées, spécifiquement turques.
(1) Jusqu'au 2 avril inclus de 13 h. 30 à 19 heures. Entrée : 2 F. 1, rue du Figuier (4e)
L'Estampille 1967
CHAUSSETTES DE TURQUIE
Quinze préfets turcs, dont le voyage coïncide avec une exposition turque, vont arriver à Paris.
À l'Hôtel de Sens, seront présentés bas et chaussettes tricotés par les paysans turcs dans leurs moments de loisirs. Des couleurs, des dispositions nouvelles et trois suggestions :
- des idées pour nos propres loisirs,
- une occupation détente et défoulement pour nos maris,
- idées nouvelles pour les bas des mini-jupes.
Journal du Dimanche - 19 mars 1967
L'art... de la chaussette
Le peintre Apelle avait bien tort lorsqu'il disait, en grec, à son voisin convié à juger une de ses peintures : "Cordonnier, pas plus haut que la chaussure !"
S'il avait laissé dire ce brave homme, celui-ci, sans doute, aurait fait des remarques pertinentes sur la chaussette...
Cette idée vient tout naturellement à l'esprít lorsque l'on contemple à l'Hôtel de Sens l'insolite, la charmante, la passionnante exposition de chaussettes turques présentée par le professeur Kenan Ozbel. Ce professeur à l'Académie des Beaux-Arts d'Istanbul, haut comme deux chaussettes, a consacré trente ans de son existence à réunir une extraordinaire collection de chaussettes portées par les paysans d'Anatolie. Emporté par son sujet il n'a pas réussi à en épuiser tous les aspects en écivant vingt-cinq volumes.
C'est que ces chaussettes, qui à première vue séduisent, par la beauté de leurs dessins et de leurs coloris permettent d'éclaicir bien des points sur les origines des Turcs et les sources de leur art. On retrouve leurs motifs dans les objets et les tapis des Turcs seldjoukides et des peuples de la steppe, ancêtres des Turcs actuels.
Les dessins, malgré leur variété étaient établis en fonction d'une signification précise. Chaque village avait ses motifs qui lui étaient propres, et les chaussettes servaient ainsi aux habitants à se reconnaître entre eux.
À l'intéríeur de chaque groupe, on trouvait des chaussettes pour les jeunes filles, pour les femmes mariées, pour les veuves désirant se remaríer, pour les hommes célibataires ou mariés, pour les soldats. La chaussette servait également à distinguer
les classes sociales. Il y en avait pour les notables, les paysans, les artisans, les bergers, etc.
On connaissait déjà diverses formes de civilisation : civílisation du désert, des steppes, des pasteurs de la forêt, des marais etc.. Voici la civilisation de la chaussette, non moins passionnante. Elle a l'avantage de vous présenter des oeuvres qui ont la variété et la beauté des tapis et des céramiques qui on fait la réputation de l'art turc.
Jean-Paul Crespelle
L'Écho de la Mode - Juillet 1967
tricotées par les hommes,
LES CHAUSSETTES TURQUES ET LEUR CODE SECRET
Les bas et les chaussettes des paysans turcs ont été exposés à Fhôtel de Sens, à Paris, au printemps dernierf.Cette collection étonnante appartient au professeur Kenan Ôzbel, d'Istanbul, qui a passé trente ans de sa vie à la réunir.
De quoi s'agit-il ? De dessins géométriques, de ?gurations abstraites, d'op' art, d'hiéroglyphes, d'idéogrammes ? Vous n'y êtes pas du tout. Ces merveilleuses compositions sont simplement celles qu'inventent les paysans turcs pour tricoter leurs bas.
Souvent astreints aux loisirs forcés comme tous ceux qui travaillent une terre ingrate, les paysans turcs utilisent leurs temps "morts" en e?ectuant divers travaux d'artisanat : broderies, tricots, tapis et grands châles tiennent une place importante et se rattachent à une tradition qui remonte a la nuit des temps.
Ainsi, avec la laine de leurs moutons, ils subviennent à leurs propres besoins vestimentaires et ils vendent leurs surplus sur les marchés locaux a?n d'en tirer quelque argent.
Dans cette affaire, les bas occupent une situation tout à fait à part. Beaucoup plus que des objets d'usage quotidien, ils sont investis d'une véritable fonction sociale. Les motifs et les couleurs ne différencient pas seulement les régions, mais aussi
les habitants d'un même village. Ainsi, le notable, le berger ou l'ouvrier agricole ne portent pas les mêmes bas. Il en est de même d'une jeune ?lle, d'une fiancée, d'une femme mariée, d'une veuve désirant ou non se remarier, d'un célibataire ou d'un homme
en puissance d'épouse.
La diversité de ces situations se traduit par une grande richesse des modèles où l'on reconnaît, à travers les interprétations personnelles des tricoteuses, un alphabet mystérieux, un monde de symboles, de superstitions, de signes cabalistiques
destinés à conjurer le mauvais œil ou à attirer le bonheur.
On reconnaît les bas d'une femme heureuse à leurs dessins géométriques réguliers et calmes.
Une veuve qui veut se remarier fait suivre le symbole de la frivolité féminine par un lourd chapeau d'homme.
Les motifs à croix gammée des jeunes ?lles amoureuses représentent, dit-on, les mouvements du cœur.
Cette autre jeune personne fait savoir de la sorte sa propre histoire : deux oiseaux qui se sont rencontrés et qui ont lutté contre leur famille pour arriver à s'unir.
Un notable se fait tricoter des motifs en losange renfermant au centre une étoile, comme les généraux. Celui-là, qui rentre dans son village après une brillante carrière militaire, porte fièrement dans la laine les.V de ses galons de caporal.
Le symbolisme des bas de berger est plus hermétique. Chaque signe, séparément, ne signi?e rien, mais leur combinaison représente toute une vie : les losanges sont ses animaux, les bâtons, ses champs et les X... ses pensées !
La plus célèbre des tricoteuses de bas s'appelait Aïcha la Boiteuse. Elle était originaire de Corum, un petit village perdu sur le plateau de l'Anatolie centrale. Le jour où elle perdit son ?ancé, le monde réel s'effondra autour d'elle.
Alors, elle se réfugia dans un monde personnel : un monde de souvenirs qu'elle se mit à représenter dans des motifs bien à elle, une figuration abstraite très personnelle qui ?nit par lui assurer une grande célébrité.
Aïcha la Boiteuse est aujourdhui disparue. Mais on parle d'elle encore dans les campagnes turques avec une sorte de vénération : elle était le rêve, elle apportait le rêve.
Rêvons aussi à ce qu'elle apporterait aux élégantes occidentales si les fabricants de ces bas décorés, aujourdhui à la mode, s'avisaient, eux aussi, de découvrir les motifs des paysans turcs.
Louis Doucet