Société des Amis de la Bibliothèque Forney



EXPOSITION : DES AFFICHES 1900
15 mai - 31 juillet 1963




Eugène Grasset, né à Lausanne le 25 mai 1845 et mort le 23 octobre 1917 à Sceaux, est un graveur, affichiste, décorateur et architecte français d'origine suisse, représentatif de l'Art nouveau.
En précurseur de l’Art Nouveau, le langage d’Eugène Grasset est celui de la ligne courbe, douce et calculée. Ses références et ses modèles sont ceux du Moyen-Âge tant dans les sujets que dans le traité de ses affiches. Pour beaucoup, il demeure un des plus fervents lecteurs et admirateurs de Viollet le Duc à qui, rappelons-le, l’on doit la redécouverte de l’art Gothique au XIXème siècle.

Mucha, est un affichiste et un peintre tchèque né le 24 juillet 1860 et mort à Prague le 14 juillet 1939, fer-de-lance du style Art nouveau. C'est à Paris que ses qualités techniques et artistiques sont reconnues et c'est lui qui réalise l'affiche publicitaire de Gismonda, la pièce jouée par Sarah Bernhardt au Théâtre de la Renaissance.
Si à l'époque de sa mort, son style fut considéré comme dépassé, mais dans les années 1960 l'intérêt pour cet art est réapparu et il continue à inspirer et à influencer certains illustrateurs contemporains

Paul Emile Berthon (Villefranche 1872 - Paris 1909) élève de Grasset et de Luc-Olivier Merson, était peintre, lithographe et affichiste. Fortement influencé par Grasset, il développa son propre style en utilisant de plus en plus une palette de ton pastel automnal, et des lignes bien définies qui caractérisent son oeuvre. Ilréalisa aussi desétudes approfondies des gravures sur bois japonaises.

William H. Bradley est un affichiste américain né à Boston dans le Massachusetts le 10 juillet 1868 et est mort en 1962 à La Mesa en Californie.
Ces affiches ont été parmi les premiers exemples du style Art nouveau aux États-Unis. Bradley a été influencé par les lignes sinueuses d'Aubrey Beardsley.



Article des Nouvelles Littéraires du 23 mai 1963

UN HERBIER DE FILLES-FLEURS
A l'époque où le poêle Chouberski, qui devait causer la mort de Zola, chauffait les petits intérieurs bourgeois, l'affiche célèbre de L'Entrepôt d'Ivry - une cuisinière accueillant, les bras au ciel, le charbonníer - mettait sur les murs de Paris, en noir et blanc, la touche magistrale de Daumier. Mais déjà Cheret avait commencé d'y pavoiser aux couleurs de la Saxoléine éclairant les soirées familiales sous l'abat-jour. Chéret, "Watteau de la rue", que Fénéon surnomma le Tiépolo du double-colombíer, avait importé d'Angleterre la chromolithographie, et donné l'essor à une nouvelle industrie celle de l'affiche, qui n'a pas cessé de refléter depuis l'évolution de l'art pictural.

Chéret attirant au bal masqué du Skating-Theatre, chez Valentino, à Tivoli, des Cendrillons poudrerizées, devenues diablesses, et perdant leur pantoufle rouge sous la rafale éblouissante des confetti. Clowns, clownesses, écuyères de l'Hippodrome de la place Clichy, bondissent depuis les "gay nineties" qui sentaient bon le crottin des écuries de cirque et des chevaux de l'omnibus. Ces affiches détiennent, sur leur papier jauni comme de vieilles lettres d'amour, l'histoíre sentimentale du Paris quotidien.

Rue du Figuier, l'ancien hôtel des Archevêques de Sens abrite la Bibliothèque Forney, bibliothèque professionnelle d'art et d'industrie, trésor aux ressources inépuisables pour les artisans du faubourg Saint-Antoine. Allez y. Montez l'escalier à vis et vous arriverez, au quatrième étage, dans une grande salle claire où 1900 est à l'honneur aujourd'hui avec Mucha, Grasset et Hector Guimard en vedettes.




Mucha


Mucha

Mucha dont les filles-fleurs, alanguies sur des rochers, sont dryades aux nattes d'impératrices byzantines; enchanteresses au pectoral de joaillerie suggéré par Ruskin et, accoudées à d'imaginaires cathèdres, princesses aux chevelures peínturlurées d'or, qui vous tendent le papier à cigarettes Job, les biscuits Lu. Ce sont aussi trois grâces qui évoluent parmi les tranchantes herbes aquatiques, ectoplasmes à chignon et peigne de corne fioríturé, qui cueillent le gui ou les oranges stylisées.

Les fleurs chères à Mucha -on en voit ici les croquis - sont le pavot, la nielle des blés, le lis-asphodèle. Et je pense soudain à notre affligeant cours de dessin, au lycée Racine : encore imbue de ces préceptes floraux et de recettes potagères destinées à l'art appliqué, Mlle Richard nous infligeait le pensum de napperons décorés de radis, quand ce n'était pas, à l'automne, un buvard sous-main égayé de feuilles mortes.




Mucha


Mucha

Etain, pierres de lune glauques montées sur argent, cuir repoussé... Une vieille dame en visite à la maison n'était pas peu fière de son sac à main où quelque artiste avait pyro-gravé des châtaignes. Elle, en extirpait le calepín assorti, à feuillet d'ivoire.

Mais Mucha, c'est surtout le théâtre. L'affiche d'Amants de Maurice Donnay, où Lucien Guitry, mâle du grand monde, en cravate blanche et gants gris, attire l'exquise Jeanne Granier (au plumet d'aigrettes) sur fond de tzíganes ensorceleurs et de coupes de champagne renversées.

Mucha, c'est Sarah Bernhardt vue dans ses grands rôles : La Samaritaine, "évangile en trois tableaux et en vers", d'Edmond Rostand - Sarah appuyée à une amphóre, un brin de ciguë sur l'oreille - Sarah : Gismonda de Sardou, Passant de François Coppée, Lorenzaccio ! Lorenzo pensif, en violet sombre et ceinture florentine, ses doigts entrouvrant un lourd volume médiéval : la meilleure affiche de Sarah.


Gismonda avec
Sarah Bernhardt


La Samaritaine avec
Sarah Bernhardt


Lorenzaccio avec
Sarah Bernhardt




Mais Grasset, Suisse de Lausanne (Mucha, lui, d'origine tchèque, était passé par Munich et Vienne avant de devenir, chez Julian, le meilleur élève de Jean-Paul Laurens), Grasset établi à Paris après la guerre de 70, fut un des initiateurs de l'Art nouveau. Chef de file d'une coterie d'esthètes, il s'attaque au passéisme, déclare "qu'il vaut mîeux disparaître que ne pas inventer", et prévoit curieusement le fonctionnel. Admirateur, passionné de Viollet-le-Duc - qui a prédit aux architectes de son temps : "Si vous continuez à copier Rome, les ingénieurs vont bientôt vous remplacer et feront des monuments adaptés à l'époque où nous vivons" - Grasset fait exécuter une crédence à corps, meuble dont nous dít M. Roger H. Guerrand - les panneaux consacrés à la bière, à l`eau, au vin, à la viande et au poisson sont aussi incroyables que sa cheminée aux intentions symboliques : éléments, saisons, travail, paix, science, arts.

Publicité pour une marque d'encre, sa jeune femme qui s'appuie, rêveuse, à une harpe, une plume d'oie à la main, devant un encrier de bureau de poste, s'inspire à travers les préraphaélites, de Boticelli. Grasset, maître des majuscules ornées du dcitionnaire des frontispices, des fers à reliure du Grand Larousse, est l'auteur oublié peut-être, mais combien de millions de fois reproduit de "Je sème à tout vent".

Grasset, portraiture, interprétée par Sarah Bernhardt, Jeanne d'Arc, et cela nous vaut deux exemplaires d'une sort de vignette agrandie : l'une, cheveux au vdent et yeux au ciel ; l'autre où la tragédienne fait étrangement penser à Simone Signoret. Tenant d'un gantelet ferme son étendard, la guerrière costumée par Saint-Sulpice porte le col baleiné d'une actrice qui veut cacher au public les ravages du temps.




Je sème à tout vent par Grasset


Jeanne d'Arc par Grasset



Ma mère nous avait conduites un dimanche en matinée à une reprise de Jeanne d'Arc, avec deux de mes petites amies de classe : Fred, dite Frida, mignonne blonde qui épouserait plus tard un homme de lettres déjà très connu : Jean-Louis Vaudoyer, et Jacqueline, nièce de Léon Blum, belle petite fille aux cheveux noirs, noirs comme ceux de ma chère maman. Il ne me reste de cette pièce que le souvenir d'un très long et mortel ennui. Mais, à l'entracte, maman qui, au sortir du Conservatoire, avait joué les princesses - Aricle, Ophélie... - auprès de Madame Sarah, nous amena dans la loge fameuse.

En cotte de mailles (j'eusse préféré, même sur ce torse trop généreux, le dolman blanc du duc de L'Aiglon...), Madame Sarah entourée de ses suivantes (habilleuse, vestales-amies), Madame Sarah - moins inspirée que la Pucelle découvrant son gentil roi dissimulé parmi les courtisans - se précipita spectaculairement sur la petite Blum et l'embrassa avec fougue en déclarant à ma mère : "Celle-là, c'est bien votre fille !" J'eus le coeur meurtri sous mes boucles châtaines.

Elève de Puvis de Chavannes, dont il ne retint pas le meilleur, Paul Berthon, pour l'affiche des Folies Bergère exalté, lui, Liane de Pougy, minceur qu'il situe, en tunique wisigothe, au centre d'une toile d'araignée. Auréolée d'une chevelure gracieuse, la ravissante, qui porte ses six rangs de perles illustres, piétine (qui saurait nous dire pourquoi ?) un olifant.




Liane de Pougy par Paul Berthon


Paul Berthon



Infiniment plus attachants par leur sens artistique réel que toutes ces silhouettes passagères, trois échantillons de papier peints dont les motifs dépouillés trahissent une lointaíne genèse : volutes de givre, festons des vagues japonaises, corolles. Leurs harmonies particulières, en teintes douces, semblent curieusement la synthèse du goût et de certaines recherches des nabis. Ces papiers de tenture, on les doit à Hector Guimard, dont le livre de Roger H. Gueirrand - auquel celui-ci travaille depuis dix années - rêvélèra bientôt l'étonnante personalité.

En attendant, on peut feuilleter à la Bbliothèque Forney, la mononographie consacrée, par Guimard lui-même, à son œuvre la plus réputée : Le Castel Bérenger - qui demeure, au 16 de la rue La Fontaine, le type parfait de la maison modern'style.




L'Entrée du Castel Bérenger


Échauguettes au Castel Bérenger



Cet immeuble révolutionnaire - Guimard fut traité en 1898 de "Ravachol de l'architecture" - eut cependant grâce à des échauguettes, bow-windows et ancres de chaînage tanf soit peu gothiques, des partisans ravis d'y trouver le confort, eau chaude et garage à bicyclettes.

Le chardon y pousse en fer de lance, l'hippocampe s'y fixe aux arêtes. Dans le hall de grès flammé s'élèvent des phœníx en cache-pot. Les mosaïques de l'escalier, aux motifs issus de légumes et de fruits, se décomposent en mousselines pulsées. Des lanières translucides zèbrent les vitraux en coups de fouet.

Une géométrie fantasque a tout prévu : loggias, armatures des bouches de chaleur, crémones et paumelles distordues, colonnes souples qu'étreignent des végétaux mous. Un bouquet de monnaie du pape complète la cheminée scarabéiforme du studio ellipsoïdal.




Entrée du Métropolitain Porte Dauphine


Entrée du Métropolitain Les Abbesses



Après le Castel Béranger, il faut ajouter la synagogue en béton de la rue Pavée au palmarès d'Hector Guimard, maître du Métropolitain, dont les musées étrangers se disputent les grilles. Mais à Dauphine et ailleurs, on repeint la marquise en élytres de libellule, les longues fleurs élastiques de lampadaires. Réagissant avec ses bulbes, ses graines, ses tiges, ses serpents, avaleurs de globes électriques contre le classicisme de bon-papa, l'Art nouveau, triomphe du métro 1900, a ouvert son portillon aux pionniers de l'Art moderne.








Eugène Grasset


Mucha


Paul Emile Berthon


William H. Bradley